dimanche 18 novembre 2007

Lady Craven, par la baronne d'Oberkirch

Portrait d'Elizabeth Craven, par George Romney

Lady Craven est fille du comte de Berckeley ; elle était séparée de lord Craven qu’elle épousa à l’âge de dix-sept ans ; elle en avait à peu près trente cinq ans lorsque je la vis.
Divorcée après quatorze ans de mariage et avec sept enfants, elle n’en tenait pas moins son rang dans le monde à force de hardiesse, d’aplomb et d’esprit. Sans être précisément jolie, c’était une femme piquante et agréable. Ses cheveux châtain foncé étaient superbes, ses yeux magnifiques, sa peau blanche et fine était seulement marquée de taches de rousseur et se colorait à la moindre impression.
C’est une personne du commerce le plus doux et le plus agréable, gaie, insouciante, sans le moindre pédantisme ; son intimité est délicieuse.Sa passion dominante est la comédie, qu’elle joue admirablement ; elle a fini par communiquer sa passion au margrave, et maintenant un théâtre est installé dans son palais.
Lady Craven nous donna un échantillon de son talent par quelques scènes qu’elle récita les soirs. Nous en fûmes enchantés. Madame la princesse Louis lut quelquefois les répliques, et s’en acquitta de manière à satisfaire les juges les plus difficiles.
La conversation de lady Craven était aussi amusante que ses talents.
Elle racontait comme M. de Voltaire.Les originalités de lord Craven lui fournirent plusieurs chapitres fort drôles. Une des manies de celui-ci, et la plus singulière, était de ne pouvoir rester trois jours de suite au même endroit sans y tomber malade, croyait-il, et le changement d’air était perpétuellement nécessaire à sa santé.Un créancier le poursuivit deux ans durant, sans pouvoir mettre la main sur lui. Ce créancier mangea trois fois sa créance en voyages, et comme Sa Seigneurie ne disait jamais où elle allait, le pauvre homme arrivait toujours un mois après son départ, obligé de se remettre en course pour le chercher de nouveau.
Les Anglais ont des manies bien étranges et qu’il est impossible d’expliquer.Mais ce que lady Craven racontait de la manière la plus triomphante, c’était son arrivée chez le margrave, ses rapports avec mademoiselle Clairon, les jalousies et les extravagances de celle-ci, lorsqu’elle se vit supplantée.
D’abord lady Craven, débarquant en simple voyageuse, sans projets, sans idée de se fixer à cette cour, trouva chez la princesse de théâtre une bienveillance complète, et d’autant plus facile à concevoir qu’elle voyait en elle une admiratrice de son talent.
Elle s’engoua de lady Craven, lui fit ses confidences, lui parla de l’insuffisance du margrave qui, disait-elle, avait plus d’originalité que d’esprit.
La belle anglaise prit part à ses peines, chapitra le prince, qui s’excusa fort et se prétendit avec raison le meilleur de tous les amis possibles.

Mémoires de la baronne d'oberkirch

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