lundi 19 novembre 2007

Le règne de Louis XV et celui des femmes, par le baron de Besenval

Buste de Louis XV, par Coustou

Louis XV, en montant sur le trône, trouva une cour accoutumée à rendre au maître un culte presque divin. Il jouit, dans les commencemens, de l'impression qu'avait faite le feu roi. Cependant, sous la tutelle d'un vieux prêtre qu'il fit premier ministre, on s'aperçut promptement qu'il n'avait aucune des qualités nécessaires à un roi.
Le cardinal de Fleury gouverna avec assez de sagesse; mais, dépositaire de la souveraine puissance, il mit dans ses démarches la timidité d'un homme qui n'a qu'une autorité précaire, et qui craint de la perdre.
Son administration fut longue, et sous son ministère les parlemens se réveillèrent.
Il y eut des remontrances, des lits de justice, des chambres assemblées, des exils, des rappels, où les parlemens acquirent des droits, des exemples à citer, et de l'insolence, tandis que le roi perdit de la considération et de l'autorité.
Cependant, le courtisan et la noblesse asservie, le peuple, qui n'est instruit qu'imparfaitement et à la longue, continuaient de témoigner soumission, respect, attachement pour le prince.
Après la mort du cardinal de Fleury, les maltresses, en changeant les intrigues de la cour, n'altérèrent point ces sentimens.

Quoique madame de Çhâteauroux se fût déplacée en allant joindre le roi à l'armée, pendant la campagne de i744, et elle eut fait tenir une conduite plus déplacée encore, cela n'empêcha pas que toute la France ne fût ivre de joie, en voyant revenir ce prince de la maladie qui l'avait conduit aux portes du tombeau. Il en reçut les témoignages les plus authentiques ; on le qualifia du titre de bien-aimé.
Et pourtant la façon indécente dont il avait vécu avec madame de Çhâteauroux, à la face de ses troupes; l'indignité avec laquelle il l'avait chassée, croyant qu'il allait mourir; la faiblesse avec laquelle il l'avait rappelée après son rétablissement, firent une forte impression sur les esprits, et donnèrent lieu à des propos que l'on tint assez haut pour la première fois.

Madame de Pompadour, bourgeoise enlevée publiquement à son mari, pour devenir arbitre du souverain pouvoir, acheva de faire lever le masque et de donner carrière à la licence. Propos, vers, chansons, libelles , tout fut mis en usage pour peindre cet événement des couleurs dont il était susceptible, et pour avilir le maître, qui bientôt tomba dans le mépris, avant-coureur certain du trouble de tous les états.
Les femmes surtout se firent remarquer par leur acharnement; les femmes, cette moitié de la société à laquelle il n'y a été adjugé aucune part, aucun droit pour sa conduite ni sa législation , qu'on y a renfermées dans les devoirs de la retenue, dela modestie, et du gouvernement intérieur des ménages, et qui cependant y décident souverainement de tout ; arbitres d'autant plus dangereux, que, n'étant chargées de rien , elles ne sont responsables d'aucun événement, et que , ne courant nul risque, leurs goûts, leurs passions, leurs caprices, et surtout leur amour-propre, sont les seuls motifs qui les décident; toujours certaines de réussir, par l'ascendant invincible qu'elles ont sur les hommes, jqu'elles font agir à leur gré ; ne se montrant à découvert que lorsque les circonstances peuvent flatter leur vanité ; poursuivant d'autant plus les maîtresses des rois, qu'eu même temps qu'elles posent pour principe que c'est le rôle le plus avilissant qu'une femme puisse jouer, une secrète jalousie les rend implacables contre celle qui obtient la préférence.

Elles ne mirent plus de bornes à leur indignation , à leurs cris , lorsque , deux ans après la mort de madame de Pompadour, elles virent sa place remplie par la bâtarde d'un moine et d'une cuisinière, tirée d'un mauvais lieu par un escroc nommé du Barry, qui, sous le nom de Lange ou de mademoiselle Vaubernier, l'entretenait et la vendait à qui voulait bien la payer.
Ce fut aux genoux d'une telle maîtresse que le roi mit son sceptre , et qu'il acheva de se couvrir d'opprobre et de mépris.
Sous cette nouvelle souveraine, la cour changea de face. Tout ce qui faisait profession d'honnêteté, de principes de décence, fut accablé par la délation, la licence, l'intrigue, la vénalité ; et cette créature, qu'on qualifia du titre de comtesse du Barry, attira à sa suite une foule de gens sans mœurs, d'espions et de fripons en tout genre, qui s'emparèrent de Versailles. La partie corrompue des courtisans se mit à leur tète, tandis que les honnêtes gens se tournèrent du côlé du duc de Choiseul qui fut leur chef.
Ce ministre, jouissant de la confiance du roi, de l'autorité, de la considération qu'elle donne, avait vu avec inquiétude l'arrivée de madame du Barry.
Le roi, qui lui parlait de tout, ne lui dit pas un mot de cette nouvelle maîtresse qui, dans les commencemens, se tenait cachée. Par hauteur, ou bien plutôt par timidité, le duc de Choiseul, au lieu de représenter à son maître le tort qu'il pouvait faire à sa réputation, et peut-être à sa santé, en s'attachant à un tel objet, laissa cette passion germer, et parut mépriser les intrigues qui tendaient à faire présenter madame du Barry, à la rendre maîtresse en titre ; démarche qui tendait plus à sa ruine personnelle, qu'à l'agrandissement de cette femme.
Il se refusa à toutes les tentatives qu'elle fit pour se rallier à lui, et se conduisit d'abord avec une sorte de timidité, comme on l'a déjà dit, mais avec cette noblesse qui a toujours fait le fond de son caractère. Cette noblesse se changea en imprudence, pour ne rien dire de plus, lorsque le roi mit le comble à sa honte, en faisant présenter madame du Barry.
Les femmes qui ont toujours eu trop de pouvoir sur M. de Choiseul, prirent le dessus ; les propos et l'indignation furent poussés à l'excès, et le roi vit braver sa nouvelle maîtresse, jusque dans sa cour et sous ses yeux, par le parti du ministre.
Une telle conduite ne pouvait manquer de produire la disgrâce de M. de Choiseul.

Mémoires du baron de Besenval

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